Prenez une image, prenez-en deux. Coupez en deux, en trois, comme vous voudrez.
Faites revenir à feu doux, laissez réduire, faites comme vous voulez.

Et puis quoi ? Et puis rien, c'était juste un jeu, un jeu d'images et de mots.
Essayez, vous verrez !




Après le bateau.

Elle était lasse. La traversée avait été calme pourtant, sur une mer opaque et sans vie. Les sternes eux-mêmes semblaient accablés, indécis, volant bas et sans but. Elle pensait que la journée allait être interminable. Il lui fallait trouver un endroit où passer la première nuit. Demain peut‑être elle aurait quelques nouvelles. D'ici là, il fallait qu'elle se débrouille. Ne pas trop penser surtout, juste le minimum. Il serait bien temps demain. Là-bas, loin derrière le bateau, derrière le sombre du ciel, bien loin quelque part, la folie et le chaos. Plus rien ne restait de la vie d'avant. Il faudrait des jours et des jours avant que dans son cœur fatigué les premiers éclats de souvenir trouvent une petite place. Allons, il était bien trop tôt pour penser quoi que ce soit. Il fallait s'éloigner, tourner la tête, et se mettre en marche le long du quai. Ne pas se prendre les pieds dans les cordages, ne pas buter sur les pavés inégaux. Comme autrefois, dans le pays d'enfance, quand les marques sur le sol cimenté suffisaient à la distraire dans les moments de solitude. Au bout du quai que trouverait-elle ?

Au bout du quai la valise devenait lourde, mais c'était la fin de la zone portuaire. On entendait les premiers bruits du matin, ou peut-être retrouvait-elle l'ouïe. Un petit soleil était là soudain. La journée avait avancé d'une heure. Elle se dit que des choses se faisaient encore sans elle, et c'était un petit réconfort. Elle changea la valise de côté. Sous ses pieds, des carreaux de ciment avaient remplacé les pavés bosselés, elle porta son regard sur la gauche. Une allée de platanes déplumés, un jeu de boules. Elle songea à s'asseoir sur un banc et laisser les choses se faire, comme un paquet qu'on abandonne… Passer son tour, dire pouce… Après tout, qu'est-ce que ça changerait ? Le premier banc serait pour elle, pourvu seulement qu'il soit propre. Maintenant elle avait vraiment besoin de s'asseoir. Le bout de l'allée déjà. Elle changea de trottoir. La balayeuse était passée, le soleil mettait des flaques de lumière. En haut du platane on se chamaillait en bataillant à coups d'aile. Elle décida d'entrer dans la boutique là que le coin de la rue avait fait apparaître. Un rideau de coton blanc, léger et un peu poussiéreux,
à mi-hauteur d'une vitrine à l'ancienne mode encadrée de boiseries lie‑de‑vin, faisait penser à un bistrot. Sur le pas de la porte se tenait un homme grand et basané, visage paisible. Il semblait avoir tout son temps. C'était un bouquiniste. Il ressemblait beaucoup à Omar, qu'elle avait connu là-bas autrefois…

Elle se dit que la vie était vraiment pleine de surprises, et entra dans l'échoppe encombrée.